Il est difficile d’exprimer des vœux, a fortiori, de bons vœux, convenus, traditionnels, protocolaires, comme si de rien n’était, comme si le monde continuait à tourner normalement et ce, au sortir d’une année marquée par un déchainement de violence, de haine, d’intolérance… et à l’entame d’une année nouvelle que l’on aimerait tellement marquée du sceau de l’optimisme mais que l’on subodore surtout comme étant « celle de tous les dangers. »
La Présidente du Conseil a bien raison de nous interpeller sur les effets de la crise systémique et existentielle sans précédent que traverse notre société avec son inquiétant corollaire le sentiment profond d’incompréhension, d’insécurité, de désarroi et de doute qui s’installe chez nos citoyens, qui altère et ébranle le fragile espace démocratique sur lequel repose notre société et l’expose aux pires aventures.
Je ne vais pas ici vous livrer une analyse supplémentaire des causes et des racines du mal. Je vous renvoie à des grands spécialistes comme Olivier Roy ou Edwy Plenel. Je suis frappé de cette misère intellectuelle, de cette absence complète d’éthique, cet estompement de la norme morale qui dépasse même tellement nos imaginaires que l’on a l’impression de ne pas encore avoir inventé de bons mots pour définir une telle dérive.
Très modestement, comme Président du Collège provincial, j’ai toujours accordé une grande importance aux dispositifs stratégiques à la cohérence qui doit traverser les actions que nous menons. Il ne doit plus y avoir de place pour l’improvisation, la bonne tenue financière de notre Province et les perspectives en termes de projets ne sont pas le fait du hasard. C’est le fruit d’une réflexion de fond menée par le PSO et le plan adhésion.
Je voudrais remercier l’administration de la Province (Patrick, Alain) et le service du Gouverneur… de pouvoir baliser le travail et de mettre des mots sur ce que l’on fait.
Il y a 60 ans, Albert Camus pouvait dire que « mal nommer les choses, c’est ajouter à la misère du monde ». Aujourd’hui, ne plus rien nommer du tout nous entraine non plus vers la misère du monde mais tout simplement vers le chaos du monde.
Pour en revenir à l’actualité, je suis sidéré, comme beaucoup d’entre vous, par le vide conceptuel et l’inanité des discours qui polluent quotidiennement notre espace médiatique. A entendre la futilité de ces messages où se mêlent Dieu, les croisades, le djihad, l’Orient, l’Occident, on ne peut s’empêcher de penser à Hannah Arendt qui disait : "C’est dans le vide de la pensée que se cache le mal. »
Il y a un demi-siècle, la grande philosophe n’avait devant les yeux que l’effrayante banalité du pitoyable Adolf Eichmann.
Qu’aurait-elle écrit aujourd’hui si elle avait connu Internet, Facebook, les moyens de communication modernes, devant ces exécutions au nom d’Allah et du prophète, ces mises en scène macabres, cette esthétique de la mort auxquels répondent dans un jeu de miroir sordide et hallucinant, les phantasmes racistes et islamophobes des nouveaux croisés de l’Occident. Internet est devenu une variante moderne de cette banalité du mal, une machine à normaliser l’indicible et à standardiser les attitudes les plus avilissantes.
A priori, dans un tel contexte, face à une telle actualité, vous parler de la Province pourrait paraître futile, superflu, voire même peut-être provocant et pourtant, pourtant….
On n’évoquait pas plus tard que mardi le travail mené dans nos écoles avec Ismaël Saidi pour combattre la radicalisation.
La « Cellule Hainaut Mémoire » a construit une grande exposition et des manifestations présentes en ce moment à Tournai, autour des affres de la Seconde Guerre mondiale.
International Hainaut Tourisme propose des offres de tourisme mémoriel à Auschwitz et Birkenau.
Le Service de la Coopération Internationale met sur pied des projets et des aides concrètes dans des camps de réfugiés près de Bethléem.
En Tunisie, il aide ceux qui combattent l’obscurantisme en première ligne avec Habib Kazdaghli, le doyen de l’université de Tunis sur lequel pèse une fatwa.
En Hainaut, le Service Communication chapeaute diverses actions et projets en faveur des migrants dans les trois centres Fedasil et Croix-Rouge de notre province, à Tournai, Morlanwelz et Jumet.
Je suis fier, avec Gérald, Fabienne, Annie et Yves, avec Charlyne et l’ensemble des conseillers provinciaux, avec notre Gouverneur, avec l’ensemble du personnel provincial que cette Province, le plus important des pouvoirs locaux wallons, le premier employeur du Hainaut, qui tout en consacrant les 2/3 de son budget à l’enseignement (je pense à l’enseignement professionnel) et au social (avec un accent particulier pour les plus fragiles de notre société) soit aussi capable de monter des projets de solidarité qui apportent une réelle plus-value éthique à notre institution.
Et au moment où l’on parle tellement, et à juste titre, de sécurité, il est aussi bon de rappeler que c’est notre institution qui assure le financement des zones de secours pour 6,7 millions et qui prévoit des moyens encore plus considérables pour le fonctionnement et l’organisation de l’école du feu et de l’école de police. Des projets qui répondent bien aux exigences de l’actualité.
Et enfin, à l’heure où le politique est tellement décrié, je voudrais conclure en mettant en évidence deux personnalités politiques qui m’ont apparu cette semaine incarner les vraies valeurs de la démocratie.
La cohérence tout d’abord, le refus d’appliquer une politique contraire à ses valeurs et plus grave à ce pourquoi on a été élu, résister à l’envie du pouvoir pour le pouvoir, «parfois résister c’est partir» nous dit Christine Taubira, dans le brouillard idéologique où est plongé l’hexagone, elle fut tout simplement admirable. Et puis, cette salutaire, magnifique, colossale et gargantuesque colère de Louis Michel au Parlement européen pour stigmatiser le projet ignoble de loi danoise visant la confiscation des biens et l’argent des réfugiés.
Ces deux grandes personnes nous donnent une belle leçon. Il ne faut jamais transiger avec ses valeurs et il faut toujours garder intacte sa capacité d’indignation. Puissions-nous, dans notre action quotidienne, nous inspirer de ces deux exemples car bien au-delà des mots, des promesses et des discours, c’est ainsi et seulement ainsi que nous vaincrons la médiocrité, l’intolérance et l’obscurantisme.
Serge Hustache, Président du Collège provincial