Devant une assemblée de quelques centaines d’élèves, Paul Sobol, né le 26 juin 1926 à Paris, a partagé son histoire et sa vie durant la guerre:
« J’avais 14 ans quand la guerre fut déclarée. Mon père m'appelle et me dit « tu es un homme maintenant, tu vas aller travailler avec moi dans le domaine de la fourrure. A cet âge, on ne pensait pas à la guerre… Mais j'étais né dans une famille juive. Les nazis ont commencé à faire des rafles et à persécuter les juifs. En 42, ils ont pris des familles entières pour les amener en Allemagne pour " travailler". Mon père a voulu disparaître et vivre clandestinement dans un deux pièces à Bruxelles. Là, j'ai intégré un groupe de jeunes qui sont devenus des amis.
En 44, avait lieu le débarquement en Normandie. Et le 13 juin 44, pendant la nuit, la gestapo est arrivée et a pris toute ma famille. Nous avions été dénoncés. Un camion nous a amenés à Malines, lieu de rassemblement avant la déportation. Le 26 juin, c'était mon anniversaire, mon père me remet un paquet, c'était un présent de Nelly, mon amie. Elle a appris que j'étais à Malines et au fond de la boite, il y avait une petite photo d'elle.
Les alliés se rapprochaient de Paris, nous ne partirons peut-être pas … mais ma famille était désignée pour faire partie du dernier convoi de Belgique.
Dans le wagon, j'ai écrit un mot à Nelly et l’ai laissé tomber à travers le plancher. Un cheminot l’a trouvé et l’a envoyé. Après 3 nuits, le wagon s'arrête avec 700-800 personnes à son bord. Forcés de descendre, en pleine nuit, ils mettent toutes les femmes à gauche et les hommes à droite. Le groupe des hommes est trié, mon père et moi étions à droite, on nous met en rang par trois. Nous étions obligés de nous déshabiller et d’entrer dans ce bâtiment. Une personne en costume rayé gris et bleu nous attendait, un homme m'a tondu les cheveux et les poils du corps, on m'a rejeté dans la file, puis une douche, ensuite un SS me questionne, me demande mon vrai nom, ma date de naissance, ma profession. Tout ça, est écrit dans un registre et on m'attribue un numéro que l’on me grave dans la chair.
Tour allait très vite, on me jette une veste, un pantalon, je dois courir et ensuite je sors de cette usine, les SS crient « Schnell Schnell », je dois m'équiper très vite comme un bagnard. En rang par trois, nous nous dirigeons vers le portail « Arbeit Macht Frei » et sommes emmenés en groupe vers un autre bâtiment
Au matin, les SS nous donnent leurs ordres en Allemand, crient notre numéro. On doit se mettre à genoux, les bras levés ou se mettre à plat ventre. Tel un esclave, il faut oublier ce que vous étiez avant, vous êtes dans un camp, vous êtes un « undermensch ».
Mon père discuta discrètement avec un tailleur venus coudre sur notre veste un triangle et il apprend que nous sommes dans le bloc de quarantaine. Nous sommes des pièces de rechange pour les commandos de travail. Il y a une hiérarchie de couleur dans ce camp à Aushwitz, les triangles verts sont des prisonniers de droit commun, ils sont en haut de la pyramide et dirigent le camp, ils ont droit de mort ou de vie sur n'importe qui.
En dessous il y a les triangles rouges, les politiques. Les mauves, sont les témoins de Jéhovah, les roses sont les homosexuels. Les triangles jaunes sont les tziganes et les triangles jaune et rouge sont les juifs.
A Auchwitz, les plus faibles et les malades étaient emmenés dans des bâtiments avec des "douches" et le gaz était libéré. Des commandos évacuaient les corps, récupéraient les cheveux, les dents, les cadavres étaient conduits dans l'un des 5 fours crématoires et même les cendres étaient récupérés pour faire de l'engrais.
Nous, nous n'avons rien vu de tout ça, comment le croire aujourd’hui. Il y avait 100.000 prisonniers dans ce camp. Auschwitz était le lieu d'extermination, la solution finale.
En dehors des camps, il y avait des bâtiments de logistique, des usines, une véritable ville « SS ». Nous, nous étions dans le camp numéro 1 et devions remplacer les travailleurs morts au labeur. On m'a fait rentrer comme menuisier, alors que je ne l’étais pas, dans le bâtiment numéro 7. Le capot nous dirigeait et c’est lui qui nous servait un peu nourriture après l’appel. Après 3 mois, je n'avais plus que la peau sur les os.
À 5h du matin, on se levait et on partait dans le commando de travail. Comme je n'étais pas menuisier, j'ai voulu tenter quelque chose. À côté de moi, les autres confectionnent des objets que le capo ukrainien troquait contre des cigarettes qui étaient une monnaie d'échange dans le camp. Je n’étais pas capable de réaliser des boîtes comme le menuisier à côté de moi, alors je me suis débrouillé pour avoir de la couleur et j’ai commencé à les décorer les boites. Le capo à apprécier mon travail et j'étais donc devenu rentable pour lui. J'étais ainsi mieux nourri par mon travail et quand je voyais mon père je lui donnais aussi du pain ou des cigarettes.
En 1945, les camps ont été évacués, les SS avaient reçus l'ordre de ne rien laisser derrière eux, nous avons été emmenés pour la marche de la mort, des kilomètres à lutter contre le froid et la neige.
Le 5e ou 6e jour, on est sorti d'un train, nous étions arrivés à Dachau. Mis en quarantaine, en janvier 45, on a attendu quelques jours puis un camion nous a amené dans le sud de la Bavière. Les allemands pensaient encore gagner la guerre.
La petite photo de Nelly que j'avais pliée en 8 m'a beaucoup aidé et me redonnait de l'espoir. Il y avait peut-être un espoir de s'évader. Lors d'un autre transport, j'ai réussi à m'enfuir avec un Français et on s'est caché dans une ferme. On a été libéré le 1 mai 45 par l'armée américaine.
La fin de la guerre a été déclarée le 8 mai. On a vu arriver un camion français et je suis retourné en France, à Charleville Mézières.
Au contrôle, on m'a dit que je devais aller à Paris, à La Croix-Rouge française, mois je voulais rentrer à Bruxelles. La Croix Rouge m’a aidé à revenir en Belgique. Je suis retourné chez un de mes amis, le temps que mes parents reviennent et j'ai revu Nelly. Mes parents ne sont pas jamais revenus, seule ma sœur est revenue.
Paul Sobol a ensuite dû se débrouiller seul et chercher un travail. Il s'est inscrit à un cours de « Réclame-publicité » à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles et l'après-midi, il travaillait. J'ai suivi des cours du soir pour être engagé dans la plus grande imprimerie belge comme maquettiste.
Finalement, je me suis marié avec Nelly en 47 et nous avons eux deux enfants. Avec la persévérance on peut y arriver.
Sur le plan professionnel, j'ai évolué. J’ai travaillé dans une agence de pub, puis me suis mis à son compte. Avec les travaux publicitaires que j’avais réalisé pour l’enseigne « L'innovation », la concurrence m’a démarché et ensuite créé ma première entreprise de publicité.
On m'a demandé de lancer les campagnes publicitaires des Super Bazar, puis GB et aujourd'hui Carrefour.
Si vous avez de l'imagination, beaucoup de motivation, vous pouvez y arriver,
Je suis sportif. En Grèce, lors d’un voyage, j'ai testé la plongée sous marine et y ai rencontré des belges qui avaient créé une fédération de plongée sous marine à Bruxelles. J'ai intégré le comité comme moniteur de plongée et aussi pour la communication.
Une société américaine m'a démarché pour promouvoir du matériel de plongée sous marine et je me suis ainsi intéressé au tourisme. J'ai lancé une société de plongée en Turquie ensuite à Sharm el Sheik avec mon fils. Depuis 1982, mon fils y est. Il est même devenu consul de Belgique. »
A travers ce témoignage de vie bouleversant et dur, Paul Sobol a essayé comme il l’a dit de faire comprendre quelque chose aux élèves: « Vous aussi, vous pouvez envisager un avenir, avec de la créativité et beaucoup de travail. Prenez votre vie en main, faites en quelque chose. » Tant qu’il restera debout, comme il l’a fait pendant ces deux heures de témoignages, il continuera son devoir de mémoire.